Lhassa crève l'écran de la propagande chinoise
Lhassa crève l'écran de la propagande chinoise
Dans le temple du Jokhang, hier à Lhassa, plusieurs dizaines de moines ont fait une irruption spectaculaire au milieu d'un point de presse organisé par les autorités chinoises. Sous l'œil de caméras étrangères, des moines tibétains mettent à mal la thèse du retour au calme.
La Chine avait promis une opération vérité, les premiers
journalistes officiellement invités à Lhassa, depuis l'émeute
du 14 mars, n'ont pas été déçus. Plusieurs dizaines
de moines criant au mensonge et réclamant la liberté pour le
Tibet !
ont torpillé la démarche publicitaire inédite
montée par Pékin afin d'établir sa bonne foi et de prouver
le retour au calme.
L'irruption des religieux s'est produite au temple du Jokhang, saint des saints
du bouddhisme tibétain et monastère de Lhassa normalement le plus
fréquenté par les touristes. Des officiels chinois y escortaient
vingt-six correspondants étrangers, choisis par Pékin. Ils venaient
d'entendre de la bouche d'un responsable : La situation revient à la
normale
.
Ni casseurs ni voleurs
Devant des accompagnateurs chinois sidérés, ont surgi, d'un coup,
de trente à cinquante moines en chape cramoisie, dont beaucoup de jeunes.
Ils ont coupé le discours officiel en scandant, devant la caméra
d'une chaîne hongkongaise : N'écoutez pas ! (Les Chinois) vous
racontent des mensonges. Nous ne sommes ni des casseurs, ni des voleurs, ni
des incendiaires. Nous voulons la liberté ! Vive le Dalaï-Lama !
Certains ont indiqué à l'agence japonaise Kyodo n'avoir pas pu
sortir du monastère depuis le 11 mars.
La bousculade a duré une quinzaine de minutes. La police a ensuite repoussé les protestataires vers l'intérieur du monastère, tandis que le service de presse regroupait fermement les journalistes : Fin de la visite ! La présence de témoins étrangers pourrait avoir évité, en public du moins, un dénouement plus musclé. Prises à leur propre piège, les autorités n'ont saisi ni les notes ni les images saisies sur le vif par leurs invités. L'information a cependant été totalement occultée par les médias. Sous l'œil de caméras étrangères, des moines tibétains mettent à mal la thèse du retour au caias chinois.
L'incident est un fiasco pour la propagande de l'État-parti. Elle s'attache,
depuis le début de la semaine, à dénoncer méthodiquement,
sur le Web chinois, les mensonges de la presse occidentale sur la répression
et sur la poursuite de l'agitation. C'est aussi un camouflet pour le pouvoir.
L'émeute du 14 mars avait vexé le président Hu Jintao,
à l'heure de sa réélection (sans rival) à la tête
de l'État. Le cafouillage du Jokhang vient humilier le premier ministre
Wen Jiabao. Répondant à des pressions occidentales, il avait pris
sur lui d'organiser cette première visite en zone interdite, afin,
disait-il, que la presse étrangère puisse constater par elle-même
ce qui se passe sur le terrain
.
Une résistance surprenante
À Lhassa, le Jokhang est le point d'ancrage de ce qui subsiste du quartier historique. Il attire normalement les touristes et les marchands, dans la ronde incessante de pèlerins qui font valser le moulin à prières. De facto, c'est aussi le monument le mieux surveillé de la capitale tibétaine, bien plus que le célèbre Potala réduit à l'état de palais fantomatique. Le 14 mars, cette Maison du Seigneur s'est retrouvée dans l'œil du cyclone.
Deux semaines plus tard, les forces de l'ordre quadrillent le quartier et policent les monastères tandis que Pékin affirme avoir repris le contrôle de la situation. En vain. Hier soir, les autorités chinoises s'interrogeaient sûrement sur l'à-peu-près de leur mise en scène et sur les responsabilités d'un dérapage qui leur fait perdre la face, sur tous les écrans.
Vu de l'étranger, c'est le signal d'une résistance surprenante. Un autre monastère, celui-là considéré comme sûr, aurait vu, au début de la semaine, un défilé de plusieurs centaines de moines rapidement réprimé. Il s'agit du Tashilunpo à Shigatse, deuxième ville du Tibet et capitale du panchen-lama, second personnage de la hiérarchie tibétaine.
Vues de Pékin, la poursuite de l'agitation religieuse et l'incapacité de contrôler le point le plus sensible de Lhassa dessinent un scénario de cauchemar : la répétition d'incidents comparables durant les trois mois que la flamme olympique mettra à sillonner la Chine continentale.
Le coup d'éclat de Reporters sans frontières à Olympie fait peser la menace d'un sérieux chahut autour de la flamme en Europe et en Amérique. Sur le parcours chinois, l'épisode du Jokhang et l'effet de loupe que procurent les médias internationaux pourraient donner des idées à tout ce que la Chine compte de plaignants et de contestataires.