Le Dalaï-Lama dénonce « le projet de répression brutale » au Tibet
Le Dalaï-Lama dénonce « le projet de répression brutale » au Tibet
Le Dalaï-Lama lors de sa visite au zenith de Nantes, le 14 août.
A la veille de sa visite au temple bouddhiste Lerab Ling près de Lodève (Hérault), où il doit rencontrer, vendredi 22 août, Carla Bruni-Sarkozy, Bernard Kouchner et Rama Yade, le Dalaï-Lama a évoqué à Nantes, pour Le Monde, l'avenir politique du Tibet après les Jeux olympiques de Pékin.
La répression a-t-elle continué au Tibet, malgré
la trêve olympique ?
L'armée chinoise a encore tiré sur la foule, lundi 18 août,
dans la région du Kham, dans l'est du Tibet : cent quarante Tibétains
auraient été tués, mais ce chiffre demande à être
confirmé. Depuis le début des émeutes, le 10 mars, des
témoins fiables ont pu établir que 400 personnes ont été
tuées dans la seule région de Lhassa. Tuées par balles,
alors qu'elles manifestaient sans armes. Leurs corps n'ont jamais été
rendus aux familles. Si l'on considère tout le Tibet, le nombre des victimes
est bien sûr plus grand. Dix mille personnes ont été arrêtées.
On ne sait pas où elles sont incarcérées. La nouveauté
est la construction de vrais campements militaires. La présence militaire
au Tibet est ancienne, mais la frénésie de constructions nouvelles,
dans les régions de l'Amdo et du Kham, me fait dire que cette colonisation
par l'armée est destinée à durer. Autrefois, des camions
militaires venaient et restaient quelques mois. Aujourd'hui, un projet de répression
brutale s'inscrit dans la durée
.
Qu'attendre donc de la discussion que vous espérez toujours
avec Pékin ?
Entre les émeutes de mars et les Jeux olympiques, nous avions cru à
des signaux positifs. Le président Hu Jintao lui-même s'était
engagé à des discussions sérieuses. Mais nous avons vite
déchanté. Nos émissaires se sont heurtés à
un mur. Aucune ouverture n'a été enregistrée. Le Parlement
tibétain en exil se réunira donc en septembre, mais notre approche
ne va pas bouger : celle de la non-violence et de la voie médiane. L'autonomie
reste notre but. Une autonomie véritable, car l'autonomie à la
chinoise, nous savons ce qu'elle est : un leurre
.
Vous venez de déclarer au Financial Times qu'il faut respecter la Constitution de la République populaire de Chine. Et au New York Times,
que vous êtes prêt à endosser le socialisme chinois. Est-ce
un changement de cap ?
J'ai toujours dit qu'il fallait instaurer l'autonomie du Tibet dans le cadre
de la Constitution de la République populaire de Chine. Je n'ai pas changé
d'avis. De même, je dis depuis longtemps qu'il faut respecter le régime
chinois, y compris sa nature socialiste. Dès 1992, j'affirmais que si
une solution était trouvée au Tibet et nous paraissait acceptable,
alors nous rentrerions au pays et reconnaîtrions les pouvoirs en place.
J'avais même ajouté que le gouvernement tibétain en exil
se trouverait automatiquement dissous. C'est toujours vrai
.
Hypothèse inimaginable…
Oui, parce que les autorités continuent de penser qu'il n'y a pas de
problème au Tibet, que le seul problème est celui posé
par le Dalaï-Lama ! Elles ont souvent tenté de me convaincre que
si je m'alignais, je retrouverai tous mes pouvoirs. Mais le sort du Dalaï-Lama
me préoccupe moins que le sort de six millions de Tibétains. Bien
sûr, il y a un problème au Tibet ! Le président Hu Jintao
affirme qu'il travaille à une société harmonieuse. Mais
tout ce qu'il fait va à l'encontre d'une telle harmonie. Den Xiao Ping
avait un vrai projet de développement économique et nous l'avions
approuvé, car nous connaissons les retards matériels du Tibet.
Mais tout ce qui a suivi a contredit les projets d'éducation, de développement,
de stabilité politique, d'unité nationale. Aucune harmonie ne
sera possible en Chine avec la politique de la force, qui est tout sauf une
politique réaliste. La Chine veut devenir une superpuissance ? Elle doit
d'abord retrouver une autorité morale. La répression qui frappe
le Tibet et d'autres régions de Chine porte une atteinte considérable
à sa respectabilité. De plus en plus d'intellectuels le disent
et critiquent le régime. Mais notre position n'est pas qu'il y ait des
gagnants et des perdants. C'est que les deux parties soient gagnantes. En attendant,
nous considérerons toujours que les Tibétains de l'intérieur
sont nos maîtres. Je ne suis que le porte-parole libre du peuple tibétain
qui est chez lui et réprimé au Tibet
.
La voie médiane et la non-violence ne sont-elles pas en
recul chez les jeunes, comme l'ont prouvé les émeutes de mars
?
Contrairement à ce qu'on a dit dans les médias, ce n'est pas
la non-violence qui est en cause. Il n'y a qu'une très faible minorité
- y compris chez les jeunes - qui évoque le recours à la violence.
La vraie divergence est celle qui oppose ceux qui réclament l'indépendance
du Tibet et ceux qui, comme nous, veulent proposer une voie médiane et
une véritable autonomie. Or nous sommes dans une situation difficile
parce que la voie médiane, il faut le reconnaître, n'a pas porté
beaucoup de fruits. Je voudrais ajouter, à propos de la violence, que
celle-ci n'est jamais une solution. L'Europe le sait, qui a subi les carnages
de deux grandes guerres. La France le sait, qui va enterrer dix de ses soldats
tués en Afghanistan. J'ai de la compassion pour leurs familles. Comme
j'ai de la compassion pour les familles du Sichuan touchées par le tremblement
de terre : cette politique chinoise de l'enfant unique est amère. En
perdant un enfant dans une école détruite, beaucoup de parents
perdaient leur enfant unique !
Quel bilan faites-vous, après les polémiques, de l'accueil
de la France ?
Si j'étais venu avec un agenda politique précis, des rendez-vous
avec des responsables politiques et gouvernementaux, alors il y aurait eu de
quoi être largement déçu ! Je dois rencontrer Bernard Kouchner.
Je le connais depuis longtemps et n'ignore pas sa solidarité pour le
Tibet, ni celle du président Sarkozy. Alors, j'espère qu'après
les Jeux olympiques, le président en exercice de l'Union européenne
fera des propositions constructives au gouvernement chinois. Quoi qu'il en soit,
mon agenda n'était pas politique. Je suis venu en France travailler à
la promotion de valeurs humaines et au dialogue entre les religions. Si j'en
juge par les publics rencontrés, j'ai de quoi être très
satisfait
.